Ce projet explore nos relations avec la nourriture et notre corps. La nourriture perd peu à peu sa substance, elle devient de plus en plus artificielle et pauvre . Elle évolue dans notre imaginaire vers un objet abstrait. Les produits aux noms indéchiffrables se mélangent avec des tableaux numériques sur les étiquettes de nos aliments. Pour certains, les repas ne sont plus qu'une addition de valeurs diverses à atteindre et ne surtout pas dépasser. Pourtant c'est la nourriture qui alimente et compose notre corps. Manger est un acte intime dans lequel des éléments extérieurs franchissent la barrière du corps pour se transformer en nous. La science redécouvre ainsi ce qui se savait depuis toujours : la nourriture, matière première du corps, participe de façon enfouie à notre bonheur et à notre équilibre. On sait maintenant par quels leviers elle agit sur le cerveau. Au delà d'une connaissance utile à la médecine, cela ouvre la brèche d'une compréhension scientifique mais néanmoins sensible de nos intériorités. Par la nourriture, une attention renouvelée au corps et à sa sagesse est possible. Le projet tend à déployer sensiblement ces connaissances et à provoquer cette introspection chez celui qui le regarde. Le contexte du projet et ses premières étapes ont été développées dans mon mémoire, dont le début est disponible ici. Si vous êtes interessé-e-s pour en lire plus, n'hésitez pas à me contacter.

"Nourriture Psychique" est mon projet de diplôme de DSAA à l'école Duperré. Je l'ai débuté l'été 2019 par une importante phase de recherche. Après avoir cerné mon sujet, j'ai voulu comprendre au maximum les circuits d'influence qui se tiennent dans notre corps, d'abord avec des documents vulgarisés, puis des revues de plus en plus spécialisées. J'ai débuté le projet par l'image, pour confronter les information que j avais acquis et entrevoir la manière avec laquelle l'information et son partage pourrait se déployer sensiblement . Peu à peu mon travail s'est étendu vers des types d'images plus sensibles, des supports plus présents (tissu, dentelle, print et tirage photographique) puis des incarnations plus tangibles, par le volume et des systèmes d'objets. Le contexte du coronavirus a troublé la fin de notre année et nous a forcé à reconsidérer nos manière de travailler. J'ai fait le choix de concevoir une installation digitale, pour garder le plus de possibilités et de liberté dans mes mise en forme et ne pas souffrir du manque de ressources lié à mon confinement et à la fermeture de l'école. Avec la reprise des cours une exposition des projets est possible à l'école, elle est l'occasion de présenter cette étape aboutie du projet et de faire exister cette installation digitale, comme une prémisse d'une réelle incarnation des objets, que j'aimerai continuer et atteindre dans le futur.

Cette table est le premier aboutissement du projet. Elle met en scène des aliments bruts, qui expriment encore tous leurs potentiels. Elle peut être lue selon différents angles. C'est d'abord une célébration d'un plaisir épicurien et sain qui encourage à retrouver une attention sensible au corps. Elle est régie tel un graphique ou l'ampleur et la hauteur des objets, leurs placements, leurs variations ainsi que les fonctions qu'ils occupent en tant qu'objets de table informent sur les temporalités et les pouvoirs des différentes mécaniques qui œuvrent ensembles dans le corps. Ces dernières sont ré-insufflées dans les objets de la table tout en conservant leurs qualités propres. Par la représentation des organes et des molécules sur lesquels elles reposent, en leurs conférant des dynamiques qui font écho à celles que l'on ressent, ces objets s'ambitionnent aussi comme des dispositifs d'explication opaque des alchimies dissimulées de nos corps. Ils apparaissent dans un matériaux légèrement translucide blanc qui peut rappeler l'opaline. Ce dernier atténue les objets, neutralise et uni leurs formes. Il évoque la légère transparence des tissus et des organes que les objets représentent librement. Comme une peau par lequel ces objets existerait mais qui les recouvrirai aussi pour qu’ils ne puissent pas se dévoiler complètement. Entre modèle anatomique et service de table baroque, ils cherchent à ménager des espaces sur lesquels les représentations sensibles et intérieures du corps peuvent se projeter et ou l'attention à ce dernier peut se renouer.

La table peut se lire comme un graphique. Les aliments, posés sur des objets, descendent en se transformant peu à peu à travers eux pour se fondre dans les ressentis sensibles du corps et y prendre part. Les objets illustrent la nature des transformations et informent d'un coup d’œil de leurs ampleurs et de leurs temporalités. Elle est recouvertes champs de diffusions de couleurs issus d'expérimentations à l'aquarelle et à la peinture textile. Ces objets se destinent comme des champs de projections des ressentis du corps, de ses énergies, des émotions et des humeurs. Une dentelle où sont représentés des vaisseaux, des nerfs et des molécules vient s'entremêler visuellement sur eux. Elles fait état des fonctionnements intérieurs du corps et assure la transition entre la tables et les objets, sémantiquement et esthétiquement.

Les coupes illustre les réactions directs entre le corps et certains éléments des aliments. Des protéines particulières, que le corps est incapable de synthétiser seul, sont absorbées. Elles sont ensuite transformées en neurotransmetteurs régulateurs de l'humeur. Ces réactions chimiques sont les plus directes entre la nourriture et le corps, et les plus documentées. Incarnées dans les coupes, elles agissent comme l'étalon du système de table. Elles se déclinent sur deux objets qui symbolisent les actions de deux neurotransmetteurs distincts et antagonistes l'un par rapport à l'autre : la Dopamine et la sérotonine. Les différences sont marquées par les molécules qui ornent ces objets : elles sont les protéines nécessaires à leurs synthèses et les molécules de réactions intermédiaires de la sérotonine et de la dopamine. Ces molécules se déploient sur des éléments des coupes qui correspondent à leurs spatialités et leurs circuits dans le corps. Elles apparaissent déformées, animées des énergies et des humeurs qu'elles participent à faire ressentir dans celui-ci.
Chaque coupe repose sur un plateau, lui-même soutenu par trois réceptacles. Il montre des réactions plus enfouies dans le corps, qui s'expriment doucement et indirectement. Elles concernent trois éléments majeurs : les minéraux, les vitamines et les graisses (omégas 3). Ces éléments ne modifient pas directement la chimie du cerveau comme certaines protéines, mais participent en revanche à son bon fonctionnement. Dans le corps comme sur la tables, ils sont le fondement des réactions présentées précédemment. Les réceptacles destinés aux minéraux, vitamines et aux graisses supportent ainsi les réactions des protéines. En assurant le fonctionnement harmonieux du cerveau ils créent le cadre et la possibilité d'une psyché épanouïe et équilibrée.
Le second plateau illustre des réactions particulières du corps qui mettent en scènes le microbiotes, la multitude de bactéries qui habitent notre intestin et participent à la digestion. Les action de ces bactéries restent encore floues. Si on sait qu'elles influent sur notre caractères, nos humeurs et même nos prises de décision, on ignore encore la nature et les temporalités de leurs échanges avec le cerveau ainsi que leurs importance dans son équilibre. La présence des cette objet est irégulière, son tracé est sinueux et l'empêche de se découper précisément de la table et du ressenti sensible du corps auquel elle fait écho. L'objet reprend le tracé de l'intérieur intestinal des coupes. Au lieu d'être creux celui-ci est irrégulièrement rempli par des textures et des éléments flous qui sont issus d'images microscopiques de ces mêmes bactéries.
Enfin des assiettes découpées et distendues existent également sur la table. Elles font état d'un dernier mécanisme du corps, qui ne dépend même pas directement de la nourriture ingérées. Elles évoquent le système de récompense, un circuit purement psychologique qui offre la satisfaction du repas, d'autant plus grande s'il a été apprécié. Cette réaction s'incarne ainsi sur une assiette, l'espace par lequel passe la nourriture avant d'être incorporées, ou elle est choisie et appréciée, contemplée et découpée une première fois. Ces assiettes se lisent de haut en bas, la nourriture qu'elles accueillent en leurs centres semblent provoquer une profusion de dopamine en leurs sein, molécule centrale du circuit de récompense. L'assiette, lieu de dégustation et « d'épicurie » agit ainsi comme un miroir métonymique des satisfactions du corps qu'elle peut engendrer. Ces satisfactions sont cependant à double tranchant car elles peuvent encourager le choix d'aliments néfastes si le corps y est habitué et possède un gôut pour eux.